mercredi 28 mars 2012

Une petite mordée dans la poésie du ventre


Je lis présentement Féerie pour une autre fois de Céline. Je dis ça tout simplement parce que le rythme, l'intensité et le style de sa prose m'ont fait penser à de la poésie dans sa plus pure expression - pour le peu que j'en sais.

Sur une autre chaîne, dans ma tête folle, je cherchais un sujet pour ce soir - en fait, j'ai pensé en avoir un toute la journée, mais puisque j'ai tendance à zapper, une nouvelle idée s'est imposée.

Alors, merci à toi, mon vieux Ferdinand, je nous offre une incursion dans la poésie gastronomique.

Et j'ai l'impression que ça ne sera pas la dernière...

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Car, des convives à ce banquet de la poésie, il y en a tout autour d'une table gigantesque - tout compte fait, il y aura quelques suites à ce message - me v'là donc qui commence une nouvelle gimmick...

Transportons-nous d'abord au 4e siècle avant Jésus-Christ, dans la Grèce antique.
Voici Archestrate, grand voyageur et poète, qui se promènait de par le monde connu, à la recherche d'expériences gastronomiques. Ce qui l'intéressait, ce ne sont pas les moeurs des gens et des peuples, mais particulièrement ce qu'ils mangeaient.

Alors, ce bourlingueur s'arrêtait dans chaque région, prenait des notes, étudiait les repas, concevait des recettes et organisait des soupers. Jamais plus de trois ou quatre personnes à table, pour que chacun puisse savourer le moment, sinon « un repas de plus de quatre personnes devient un repas de journaliers et de soldats, qui mangent leur butin. » Autrement dit, on imagine la scène, des goinfres qui ne font que s'empiffrer.

À gauche, se bourrant la face, le type même qu'Archestrate n'aurait pas invité à sa table.


D'ailleurs, c'est une des rares citations d'Archestrate qui est parvenue jusqu'à nous.

Bien que sa passion aurait pu faire de lui un ventru, il semble que ça ne soit pas le cas, puisque qu'une expression lui fait honneur : « Léger comme Archestrate ».

C'est vrai qu'à marcher d'une place à l'autre, on a le temps de bien digérer, je vous l'accorde.

Le poète Joseph Berchoux (notre prochain invité), le présente ainsi :

 « Il est l'auteur d'un poème intitulé : la Gastronomie. Cet auteur fut l'ami d'un des fils de Périclès. Il avait parcouru les terres et les mers pour connaître par lui-même ce qu'elles produisent de meilleur. Il s'instruisait dans ses voyages, non des mœurs des peuples, dont il est inutile de s'instruire, puisqu'il est impossible de les changer, mais il entrait dans les laboratoires où se préparent les délices de la table, et il n'eut de commerce qu'avec les hommes utiles à ses plaisirs. Son poëme est un trésor de lumière, et ne contient pas un vers qui ne soit un précepte. C'est dans cette école que plusieurs cuisiniers ont puisé les principes d'un art qui les a rendus immortels. »


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Joseph Berchoux fut l'homme qui a popularisé le mot gastronomie, au début de 19e siècle. On le considéra poète, humoriste, sociologue et historien - et dans ses temps libres, il fut juge de paix, entre autres lorsque la Révolution éclata.

Je vous laisse sur un de ses poèmes, qui me rappelle que je ne me suis point encore rassasié, pardi!


  L'Esprit oblige (1802) :

« Je vais dans mon ardeur poétique et divine
Mettre au rang des beaux-arts celui de la cuisine.
D'un utile appétit munissez-vous d'avance.

Préludez doucement au plaisir du repas.

Que j'aime cependant l'admirable silence
Que je vois observer quand le repas commence.

Jouissez lentement et que rien ne vous presse.

Souvenez-vous toujours, dans le cours de la vie
Qu'un "dîner sans façon" est une perfidie.

Hélas, nous n'avons plus l'estomac de nos pères.

Le ragoût le plus fin que l'art puisse produire
S'il est froid et glacé ne saurait me séduire.

Rien ne doit déranger l'honnête homme qui dîne.

Qu'après le crépuscule un repas copieux
Vous prépare au sommeil et vous ferme les yeux.

Un poème jamais ne valut un dîner.

(Salut, toi que décore un excès d'embonpoint !!) »


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